lundi 17 juin 2013

New York Africa Forum à Libreville : un outil pour les ambitions de puissance du Gabon


Ali Bongo lors du New York Forum Africa organisé à Libreville (New York Forum Africa).

LE PLUS. Organisée sous la houlette de Richard Attias, la deuxième édition du New York Forum Africa (NYFA) a réuni sommités du business et de la politique à Libreville au Gabon. Derrière ce forum à la logistique impressionnante, se cachent les ambitions de puissance de ce petit État d'Afrique centrale. Décryptage de notre contributeur Abdelmalek Alaoui, qui a participé aux travaux de ce "Davos" africain.


Trois jours durant, bravant un soleil gabonais de plomb, près de 700 participants, parmi lesquels plusieurs chefs d’État d’Afrique centrale, des PDG de multinationales, ou même des "people" telle l’ex-star du tennis mondial Boris Becker, ont hanté les allées climatisées du New York Forum Africa (NYFA).

Inévitablement comparé au "grand frère" suisse de Davos, le NYFA se différencie en adoptant une orientation où les débats sont résolument tournés vers la gouvernance, la prospective et les pistes pour permettre au continent d’émerger. Selon les organisateurs, la conférence se veut le lieu de cristallisation d’une profession de foi énoncée par l’ancien président américain Bill Clinton : l’implication en faveur de l’Afrique.

L’Afrique reste perçue comme un pourvoyeur de matière premières

Il faut dire que l’Afrique en a un besoin cruel, d’implication. En effet, selon les estimations les plus fiables, le continent devrait sous 20 ans devenir le troisième bloc de population le plus important au monde, au même niveau que la Chine et l’Inde, en dépassant le milliard et demi d’habitants. Son poids économique, quant à lui, devrait rester bien en deçà de ces deux géants mondiaux, malgré une croissance qui a permis le doublement de son PIB lors de la dernière décennie.

Or, l’Afrique a un souci majeur : elle est perçue quasi exclusivement comme un pourvoyeur de matière premières, et c’est à ce titre que les grandes puissances occidentales ont déplacé le centre de gravité de leurs luttes d’influences économiques sur ce continent.

Ces dernières se mènent désormais une "guerre périphérique", comme l’a souligné avec justesse un intervenant, où la diplomatie d’influence côtoie le lobbying forcené, voire la déstabilisation directe, et ce, afin de pouvoir capter les réserves stratégiques de pétrole, de gaz, ou encore de métaux rares ou précieux.

Le niveau de richesses dans le sous-sol africain contribue en outre à maintenir le continent dans une situation de rente, freinant la libération des initiatives économiques, ce qu’ont regretté les experts lors du NYFA. Selon eux, ceci serait le fait de la double pression exercée par la prédation économique des élites politiques africaines combinée aux attentes des populations en termes de reversement de subsides, connu en économie sous le terme de "syndrome hollandais".

Le Gabon en quête de projection stratégique

De manière souvent policée, parfois brutale, mais toujours lucide et sincère, les participants au Forum de Libreville ont ainsi pointé du doigt la carence majeure qui entrave le décollage africain : le manque de bonne gouvernance.

Pour l’illustrer, le ministre du commerce de Côte-d’Ivoire, Jean-Louis Billon, narra à une salle ébahie comment, il y a quelques années de cela, un fonctionnaire ivoirien lui conseilla de ne pas oublier le "caillou" dans son dossier, censé empêcher ce dernier de "s’envoler et disparaître".

Une autre participante, Magatte Wade du Sénégal, s’est interrogée sur cette incongruité qui fait que des pays ouvertement socialistes tels la Bolivie ou le Nicaragua devancent systématiquement l’Afrique subsaharienne – officiellement libérale et pro-business – dans le classement "Doing Business" de la Banque mondiale, qui mesure la facilité avec laquelle l’on entreprend.

Au delà de la qualité des débats – incontestable – transparaît en sous-main une stratégie florentine orchestrée par le président gabonais, Ali Bongo Ondimba, qui vise à faire de sa petite république pétrolière un géant économique continental.

Indifférents aux critiques, le président Bongo s’appuie sur le NYFA comme zone de convergence du cercle qui fait la décision du business mondial. Ceci permet à son pays de commencer à "clignoter" sur les radars économiques internationaux, et de nouer des partenariats internationaux, comme ceux annoncés dimanche soir pour un peu plus de 200 millions d’euros.

Une trajectoire similaire à celle du Qatar ?

Sur le plan politique, c’est la position de médiateur régional – à l’image du Burkina Faso en Afrique de l’Ouest – que brigue le Gabon, comme l’atteste son rôle dans le dialogue centrafricain de ces derniers mois. Se trame donc une subtile stratégie gabonaise basée sur la "diplomatie régionale et le business global".

Reste qu’il manque au Gabon quelques éléments de l’équation pourtant absolument indispensables pour valider cette projection de puissance : le contrôle de canaux de mass-média et une stratégie d’acquisitions internationales qui lui permettrait de se positionner au cœur des portefeuilles occidentaux.

En creux, les ambitions gabonaises sont à rapprocher de celles d’une petite île du Moyen-Orient qui réussit il y a près de 20 ans à faire sa mue et à devenir incontournable : le Qatar.

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