jeudi 4 décembre 2014

Gabon : arrêtons la moralisation

Le média Le Point Afrique consacre aujourd'hui une tribune pour dénoncer "la critique stérile et hautaine" de Pierre Péan.

Niché sous ses immenses forêts équatoriales, le Gabon connaît des avancées économiques et sociales qu'il serait préférable, et légitime, de saluer.

Le Gabon, depuis son accès à l'indépendance en 1960, est un îlot de stabilité au sein d'une sous-région, l'Afrique centrale, en proie à de nombreuses difficultés. Son taux de croissance est estimé à 6,7 % en 2014. Son indice de développement humain (IDH), qui inclut notamment l'accès à l'éducation et à la santé, est le deuxième d'Afrique Subsaharienne en 2013, devant l'Afrique du Sud. Le progrès social est long, mais il est réel. La société avance. Le taux de prévalence du VIH est en baisse constante depuis 2003. Le pays vient d'achever son Octobre rose, campagne mondiale de lutte contre les cancers féminins, à l'initiative de la fondation de la première Dame, Sylvia Bongo Ondimba : c'est une des premières nations d'Afrique Subsaharienne à prendre à bras le corps un fléau qui est malheureusement loin d'être l'apanage des seuls pays développés.

Bien que beaucoup de chantiers importants restent à entreprendre, cette jeune nation, grâce à des fondamentaux économiques de plus en plus compétitifs, peut se penser comme un des leaders de l'émergence africaine : l'investissement public a presque quadruplé depuis 2012. Le nombre de kilomètres de routes goudronnées a par exemple doublé sur cette période. Près de treize parcs nationaux, terrestres et maritimes, ont été constitués, et protègent plus de 10 % du territoire : le Gabon est un leader mondial en matière de préservation de l'environnement.

Cette pérennité est toutefois remise en cause : non par le climat social à l'intérieur du pays, qui n'a rien à envier à celui de la France, mais par un énième ouvrage accusant un gouvernement africain de ne pas être légitime. Quelle originalité !

L'absolue relativité du discours moralisateur

Le dernier livre de M. Péan, Nouvelles Affaires africaines, conteste en ce sens les élections qui ont porté au pouvoir M. Ali Bongo Ondimba en 2012. L'on pourrait s'étendre des heures sur ces allégations et les généraliser à la majorité des pays d'Afrique, comme beaucoup se permettent de le faire. Est-ce juste ? Est-ce utile ? Est-ce fécond ?

Sans tomber dans un relativisme qui justifierait n'importe quelle dérive, il est clair que tous les systèmes politiques ont leurs imperfections. C'est d'autant plus le cas dans les pays émergents, mais aussi dans les pays à revenus élevés dont les archétypes sont loin d'être parfaits. Toutefois, en remettant systématiquement en cause tous les équilibres existants, en faisant fi des spécificités de chaque nation et des rapports de force qui la composent, on récolte le chaos : l'état de nombreuses régions du monde aujourd'hui en est la plus sombre des illustrations.

De quoi parle-t-on ?

Si nous abordons la question de la démocratie au Gabon, abordons-la en profondeur. La liberté de la presse y est acquise, et certains journaux font même preuve de critiques si violentes et virulentes envers le pouvoir que nos propres journaux satyriques pâliraient de jalousie s'ils y accordaient attention. Internet ne connaît aucune censure : rappelons que Google ou Facebook sont néanmoins interdits en Chine. Enfin, l'indice de la perception de la corruption, calculé par Transparency International, établit de bien meilleurs résultats au Gabon qu'au Mexique ou en Russie.

Faut-il alors par "souci de la démocratie parfaite" et utopique remettre en cause un régime s'il offre à sa population des libertés que si peu de pays, notamment africains, autorisent ? Il convient pour apprécier le véritable degré de démocratie d'une nation de se pencher sur ses réalités structurelles et sociales, plutôt que de n'en dénoter seulement les ornements plus ou moins dorés.

En finir avec la critique stérile et hautaine

Au XVIIIe siècle, outre les dérives malheureuses et infâmes de la colonisation, la France se démarquait souvent du Royaume-Uni en essayant de tisser des liens d'échanges et un respect mutuel avec les populations qu'elle rencontrait. Ce fut le cas notamment au Canada, et en Inde, avant que le choix ne soit fait de se recentrer sur les affaires du continent. Pour anecdote, la bataille de Fort-Duquesne en 1758 opposant 500 Français et Indiens contre une force de 6 000 Britanniques fut gagnée grâce aux techniques de guérilla et de camouflage apprises de ces alliés indiens.

À l'aune d'un siècle où la mobilité des capitaux et des personnes est une réalité globale, recouvrer cette philosophie d'apprentissage mutuel qui fit nos succès et nos lumières serait une belle attitude. Le message universel de la France ne doit pas être confondu avec le discours unilatéral et moralisateur anglo-saxon, d'autant plus que ce dernier n'a pas vraiment favorisé l'émergence d'une quelconque démocratie. La France a la chance de conserver des liens fraternels avec certains pays africains, dont le Gabon. Le Gabon est une nation jeune (54 ans), qui tente d'émerger au sein d'un continent encore instable et confronté à de nombreux défis sociaux, économiques et politiques. Aidons cette nation à trouver une voie qui correspond à ses réalités, plutôt que de lui imposer la nôtre.

L'Afrique est "Le" continent en puissance du XXIe siècle. Brian Eads, dans un très bon papier pour Newsweek publié en octobre, reconnaît que la France demeure une puissance mondiale, inégalée dans certains domaines, grâce à sa relation privilégiée avec ce continent des plus prometteurs. Nous pouvons alors demeurer son juge, assis sur une tour d'ivoire chancelante aux bases sapées par des maux que nous dénonçons à tout-va, ou nous pouvons être son partenaire et grandir avec elle. Véhiculer un message universel de liberté, d'égalité et de fraternité n'a pas grand intérêt si, à force de froisser grossièrement tout le monde, plus personne ne nous écoute.

Source :
http://afrique.lepoint.fr/actualites/tribune-gabon-arretons-la-moralisation-04-12-2014-1886764_2365.php