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Le Président reçu à la Maison Blanche en septembre 2012 |
Dans un long entretien accordé au
magazine "Marchés Publics", le Président Ali Bongo Ondimba fait le point
sur l'actualité gabonaise. A mi-mandat, le chef de l'Etat évoque les
grands événements de l'année écoulée, mais également les ambitieux
projets en cours. Plus que jamais, le mot "émergence" est au coeur de
l'ambition présidentielle.
Marchés Africains: L’année 2012 tire à sa fin et restera
marquée par l’organisation par le Gabon, pour la première fois de son
histoire, de la Coupe d’Afrique des Nations (CAN). Avec le recul, quel
est impact de cet événement pour votre pays en termes d’image,
d’infrastructures, d’économie, ainsi que sur le plan sportif ?
Ali Bongo Ondimba : «Comme vous le soulignez,
cette CAN était attendue depuis longtemps par tous les Gabonais et a
engendré une véritable communion nationale et continentale. Pour les
nombreux observateurs étrangers et les journalistes sportifs
internationaux qui l’ont couverte, cette grande fête du sport fut sans
doute la mieux réussie de toute l’histoire de la compétition. Les
Gabonais peuvent donc être fiers de l’organisation qu’ils ont mise en
place, de l’accueil qu’ils ont offert à l’Afrique et au reste du monde.
Notre équipe nationale, les Panthères, a elle aussi porté haut les
couleurs du football gabonais.
Je garde, comme tous mes
compatriotes, des souvenirs impérissables de cet événement qui nous a
prouvé à tous qu’unis, rien n’est impossible. Je dois dire également que
la CAN a été un formidable catalyseur de nos projets de développement.
Les grands chantiers d’infrastructures entrepris en amont de la
compétition ont permis à notre pays d’accélérer la mise en oeuvre de son
programme de développement du « Gabon émergent ».
Aménagements
touristiques et sportifs, rénovations d’hôpitaux, infrastructures de
transport, amélioration des télécommunications: tous ces chantiers ont
été accélérés avec la construction de stades, d’hôtels, de tronçons de
routes, l’ouverture de services dans les hôpitaux ainsi que la
modernisation des aéroports de Libreville et Franceville. Au total, ce
sont plus de 300 milliards de FCFA qui ont été investis dans les
infrastructures qui dureront bien au-delà de la CAN et qui contribuent
sans nul doute à notre développement économique.
Dans la droite
ligne de notre stratégie de développement, la CAN a également joué le
rôle d’accélérateur et diversification de notre économie. Les secteurs
des travaux publics, du tourisme et des services ont pris un nouvel élan
avec, je tiens à le souligner, un accent particulier mis sur la
valorisation de nos ressources humaines: on estime que 50 000 emplois
directs et indirects ont été créés. La CAN a également boosté notre
croissance avec un taux de 6,7% pour 2011, mais surtout une croissance
de 12% dans le secteur hors pétrole je suis d’ailleurs persuadé que nous
pouvons encore mieux faire. Maintenant, sur le terrain sportif, nous
allons attendre les résultats des Panthères dans les phases qualificatif
2013, mais je crois que la précédente CAN a surtout fait rêver nos
jeunes et suscité de nombreuses vocations. La relève se prépare. »
Au
lendemain des législatives, d’ailleurs largement remportées par votre
formation politique, un nouveau gouvernement a été formé avec un nouveau
Premier ministre et 14 entrants pour 16 sortants.
Qu’est-ce qui a motivé ce changement de chef de
gouvernement malgré la victoire aux législatives et une bonne
organisation de la CAN ?
ABO : « J’ai voulu aligner l’organisation
gouvernementale à mon programme de développement pour le Gabon. Le
nouveau gouvernement est un gouvernement de missions, structuré autour
d’un projet clair avec des missions claires. Les ministères pilotent les
programmes et des agences ont été créées pour se charger du caractère
opérationnel des projets. Ainsi, nous avons une gestion cohérente de nos
actions. Car c’est seulement en assurant une bonne organisation de
notre administration que nous pouvons atteindre les objectifs du Gabon
émergent. Lors des dernières élections législatives, les Gabonais ont
largement plébiscité la politique que j’impulse et mets en oeuvre.
La
vision que j’ai présentée aux Gabonais il y a trois ans est une vision
ambitieuse. J’ai fait en sorte qu’un programme clair soit établi. Dans
chaque secteur, des actions ont été identifiées, avec des budgets et des
calendriers: c’est cela, le Plan Stratégique du Gabon émergent (PSGE).
Le Premier Ministre Biyoghe Mba, que je félicite au passage pour son
travail à la tête du gouvernement, s’est inscrit dans cette démarche.
Pour concrétiser la vision du Gabon émergent, trois axes stratégiques
ont été retenus : le renforcement des fondations de l’émergence, la
diversification des piliers de croissance et enfin la prospérité
partagée. La pyramide du Gabon émergent requiert en effet des fondations
solides pour pouvoir prospérer dans la durée. Le choix des éléments
constituant ces fondations a été fait de manière holistique, de façon à
prendre en compte les facteurs de compétitivité globale et de promotion
d’un développement équilibré et durable.
Une fois les fondations
bien bâties, la seconde phase consiste à ériger les piliers de
l’émergence, c’est- à dire les moteurs d’une croissance forte et durable
sur lesquels le Gabon devra se focaliser pour accélérer sa croissance
et son développement. Enfin l’étape ultime sera la mise en place du haut
de la pyramide que constitue la prospérité partagée :le bien-être des
populations gabonaises demeure en effet le but ultime de l’émergence et
passe par un partage équitable des fruits de la croissance. »
Comment pourrait-on résumer la méthode et le style ABO dans la gestion des hommes et la bonne gouvernance ?
ABO : « Tous simplement trois mots : paix, développement et partage. »
Le retour voulu « populaire » du leader de l’opposition
Mba Obame s’est soldé par de violent incidents pour une manifestation
interdite faute de demande d’autorisation. Comment le gouvernement
compte-t-il gérer le cas Obame, dont les activités pourraient osciller
entre incivilité publique et actions politiques ?
ABO : « Il n’y a pas de « cas Mba Obame ».
André Mba Obame que j’ai bien connu, comme vous le savez, est rentré au
Gabon comme n’importe quel homme politique gabonais de retour dans son
pays après une absence due à des problèmes de santé. Ce que je constate
cependant, c’est que deux jours après son arrivée, suite à son appel à
manifester, des jeunes armés de cocktails Molotov et de pierres ont
incendié des véhicules et saccagé une station d’essence au cours d’une
manifestation interdite. Je pense qu’il est aisé de comprendre le lien
de cause à effet.
Je m’étonne également de ce que M. Mba Obame
puisse demander au chef de l’Etat la mise en place d’une conférence
nationale et dite souveraine, alors que son parti prône la
non-reconnaissance des institutions, à commencer par celle du président
de la République. Ce sont des méthodes d’un autre âge, complètement
éculées. Il ne m’appartient pas de juger tel ou tel politicien, ce
travail revient à la justice, mais M. Mba Obame et ses soutiens, comme
tout gabonais, doivent respecter la loi, qui vaut pour tous. Le Gabon
est un Etat de droit et nous disposons d’un système judiciaire certes
imparfait, mais qui est la base de notre « vivre en commun ».
Aussi,
je tiens à rassurer mes concitoyens sur le fait que le gouvernement et
moi-même restons concentrés sur nos priorités. Ce n’est pas la politique
pour la politique que les Gabonais attendent de nous, mais un travail
pour améliorer leurs conditions de vie. »
Comment avez- vous analysé la perte par les
francophones, au profit de l’Afrique du Sud du poste du président de la
commission de l’Union africaine occupé précédemment par le Gabonais Jean
Ping ? Va- t- il occuper un poste stratégique au Gabon ou sur la scène
internationale ?
ABO : « Cela ne m’intéresse pas de m’enfermer
dans une querelle entre francophone et anglophone. Cela ne correspond
pas à ma manière de voir le monde et cela ne correspond plus à la
réalité de notre continent. Ce qui importe, c’est que l’Union Africaine
(UA) continue à ce solidifier et à se doter d’outils nécessaires pour
apporter la paix et le développement à notre continent. Nous sommes tous
unis derrière cette cause.
Le Gabon travaillera avec Madame
Dlamini Zuma, que j’ai, bien entendu, félicitée, afin de renforcer notre
institution, tout comme l’Afrique du Sud aurait travaillé en bonne
intelligence avec notre compatriote s’il avait gagné. Je salue au
passage l’efficacité de M. Ping dans les travaux qu’il a menés : son
travail est très estimé ici, au Gabon, comme ailleurs en Afrique. Quant à
savoir ce que M. Ping va faire par la suite, je ne peux pas répondre à
sa place. »
Quelles pourraient être les conséquences pour la zone
CFA de la crise que connaissent les pays de l’Union européenne
concernant les dettes souveraines et qui voient l’euro se déprécier ?
Car, rappelons-le, l’euro a la particularité d’assurer une
convertibilité fixe au FCFA via le Trésor français...
ABO : « Les fondamentaux des économies de la
Zone franc incitent à l’optimisme. Il n’y a pas de crainte quant à une
éventuelle ou probable dévaluation de franc CFA. Par ailleurs, en raison
des principes de gestion des réserves de change dans cette zone, aucun
impact significatif sur les transactions n’est attendu. Néanmoins, il
faut reconnaître que l’investissement direct étranger a diminué, tout en
restant positif, en raison du potentiel de ces économies. Soulignons
l’importance du recours à l’aide publique au développement, relativement
inégale entre les pays.
Tout assèchement des sources publiques de
financement européen aurait des incidences plus ou moins importantes
sur le budget des Etats, et plus particulièrement sur ceux des pays de
l’UEMOA, qui sont le plus concernés par ces aides. Malgré l’atonie de
l’économie européenne, bon nombre d’observateurs estiment que les
économies africaines font preuve d’une surprenante résilience. Cette
résistance est due à plusieurs raisons : le niveau favorable des cours
des produits de base, la réorientation des exportations vers les marchés
émergents et la faible intégration financière des économies africaines.
Par
ailleurs, les pays de la Zone franc ont su anticiper depuis plusieurs
années les changements nécessaires à leurs économies en diversifiant
leur appareil productif et leurs partenaires ou en améliorant leurs
conditions intérieures : soldes budgétaires renforcés, recul de
l’inflation, progression du taux de couverture des importations par les
réserves, réduction des ratios de la dette…
Toutefois, il est vrai
que les récentes turbulences sur les marchés financiers laissent
entrevoir une passe plus difficile pour l’économie mondiale. Dans le cas
où la croissance continuerait de ralentir dans les pays avancés, la
demande mondiale serait bien évidemment freinée et la contagion
affecterait beaucoup plus les pays émergents.
En cas de
retournement durable des cours des produits de base, l’Afrique pourrait
bien être affectée, sachant que la plupart des pays africains sont
dépendants de ces produits. N’ayant pas mené de politique
contracyclique, les pays de la Zone ne seraient alors plus en mesure de
pallier le ralentissement des activités avec leurs partenaires européens
: la hausse de la dépense publique resterait ainsi le seul levier pour
maintenir leur croissance. »
Le Gabon compte entre 120 et 150 entreprises françaises
pour des investissements d’environ 800 millions d’euros. La France est
le principal fournisseur du Gabon, avec une part de marché d’environ
35%, et un bailleur de fonds important avec 50 millions d’euros par an,
essentiellement sous forme de conversion et d’annulations de dettes et
de prêts. Malgré ce poids économique, vous ne cachez pas votre volonté,
qui passe d’ailleurs pour une révolution, de diversifier les partenaires
économiques du Gabon. Comment comptez-vous concrétiser cette nouvelle
orientation ?
ABO : « La stratégie est déjà entamée et porte
ses fruits : plus de 4 milliards de dollars de contrats ont été signés
avec de nouveaux partenaires dans des secteurs clés depuis 2010. La
France reste traditionnellement un partenaire stratégique pour le Gabon,
mais il n’y a plus de relation exclusive entre nous.
Le Gabon
ouvre ses portes à de nouveaux investisseurs. Ce n’est pas, comme vous
le dites, une révolution, mais plutôt une évolution. Notre politique de
développement privilégie des partenariats « gagnant-gagnant ».
J’ai
effectué plusieurs visites d’Etat, visites officielles et visites de
travail depuis 2009 en Afrique du Sud, en Australie, en Corée du Sud,
aux Etats-Unis, en Italie, au Japon, au Maroc, au Royaume-Uni, en Suisse
et à Singapour, en Turquie… Ces visites ont été concluantes et je
continuerai sur cette voie. Le Gabon est ouvert au monde, le Gabon est
ouvert aux affaires, le Gabon est ouvert à l’innovation. »
Les résultats de votre première visite de travail à
Paris avec François Hollande, nouveau Président français, ont-ils été
concluants, tant au niveau économique que politique ? Le style et la
personnalité de ce nouveau président, qui se veulent différents de ceux
de Nicolas Sarkozy, vont-elles influencer les rapports entre le Gabon et
la France ?
ABO : « Le président français et moi-même
représentons deux pays qui sont des partenaires de longue date et dont
l’amitié est historiquement établie depuis des générations. Bien que
nos relations personnelles soient nouvelles, nous comptons l’un comme
l’autre maintenir cette relation amicale entre la France, qui est notre
premier partenaire économique, et le Gabon. Les relations que nous
entretenons sont fortes tant sur le plan économique que culturel,
diplomatique, militaire. J’ajouterai même qu’elles sont meilleures que
certains voudraient le faire croire.
Lors de notre rencontre à
Paris en juillet, le président Hollande a été très sensible à nos
efforts pour lutter contre les impacts des changements climatiques comme
la mise en place d’un plan climat national, la création d’une agence
d’observation spatiale pour, notamment, assurer un meilleur suivi de nos
22 millions d’hectares de forêts, qui jouent un rôle majeur dans la
conservation du Bassin du Congo, deuxième poumon vert de la planète, et
surtout, prochainement, l’adoption d’une loi d’orientation générale sur
le développement durable.
François Hollande a ainsi émis le voeu
que la France, qui nous accompagne déjà beaucoup sur cette thématique,
s’engage davantage à nos côtés. Et puis, vous le savez, le Gabon tout
comme la France sont des pays écoutés en Afrique. Le Gabon a une
tradition de médiation et d’activité en faveur de la paix sur le
continent. Il est donc indispensable que nos deux pays échangent face
aux défis que rencontre actuellement notre continent. »
Tout juste élu, vous vous êtes qualifié vous-même de
Président de la rupture. Bientôt à mi-parcours de votre mandat, quel
bilan faites-vous des 3 dernières années passées au pouvoir ? Quels sont
vos objectifs pour les 3 prochaines années ? Et comment voyez-vous le
Gabon en 2016 ?
ABO : « Je me suis récemment exprimé devant les
députés et les sénateurs gabonais pour leur rappeler l’objectif vers
lequel nous tendons depuis trois ans. Le Gabon est entré dans une ère
de rupture, c’est vrai. Rupture avec les anciennes pratiques, rupture
avec l’attentisme, rupture avec les débats politiques stérile et sans
impact pour la population. J’ai été élu sur un programme, un programme
qui vise à faire du Gabon un pays émergent d’ici 2025.
Cet
objectif peut paraître abstrait aux yeux de certains, alors
permettez-moi de le rendre plus concret, plus palpable : des routes, des
aéroports modernes, une industrie florissante, des services toujours
plus performants, un cadre de vie amélioré, des emplois pour tous les
Gabonais, tel est mon objectif. C’est une vision ambitieuse, qui demande
l’implication de tous et le développement d’un sens de l’intérêt
général qui doit être sans cesse encouragé. Nous menons au Gabon des
réformes administratives dans tous les secteurs. Nous investissons
massivement, nous mettons en place des partenariats nouveaux, et tout
cela dans un but : développer un Gabon durable, qui profite à tous.
Les
projets ont démarré, ils sont en bonne voie, les choses avancent, pas
assez vite à mon goût, mais elles avancent. Je veux un Gabon où le
travail de chacun est reconnu, où l’égalité des chances n’est pas un
mythe et où chaque Gabonais mène une vie convenable grâce à la force de
son travail. Alors effectivement, dans un contexte où les connexions
familiales ont fait loi pendant des décennies, ma vision est une immense
rupture, mais je sais qu’ensemble, nous pouvons y arriver.
Avec
les chantiers en cours et l’énergie que nous déployons pour assurer le
suivi de ces projets, je peux dire qu’en 2016, le Gabon aura largement
amélioré ses infrastructures de transports et sera désenclavé. Les
nouvelles technologies auront trouvé leur place et seront accessibles à
tous, efficaces et rentables, permettant ainsi le développement
d’entreprises de services. Le pays saura répondre en interne à ses
besoins en énergie et les grandes villes seront en partie réaménagées.
Les étudiants bénéficieront d’un système éducatif plus efficace et plus
en adéquation avec le marché de l’emploi.
Enfin, la
diversification de l’économie aura permis la création de nombreuses
PME/PMI locales et, par conséquent, la création de nombreux emplois. Le
niveau de vie de tous les Gabonais sera ainsi globalement amélioré ».