Pour Étienne Massard, l'idée de ne pas toucher à la forêt est utopique
Le conseiller spécial du président réaffirme l’engagement des autorités en faveur de la préservation de la nature, mais accuse les pays développés d’avoir fait de fausses promesses d’aide financière.
Jeune Afrique : Qu’est-ce qui justifie l’engagement gabonais pour les questions d’environnement et de climat ?
Étienne Massard : Il se fonde sur un constat. Notre pays est déjà touché par les changements climatiques : il n’y a qu’à voir l’érosion qui touche le littoral, la montée du niveau de la mer est réelle. C’est grave, car la quasi-totalité des activités économiques de notre pays sont localisées sur le littoral, entre Libreville et Port-Gentil. Les chercheurs du Centre national des données et de l’information océanographiques ont montré que le trait de côte dans la zone de Mandji, près de Port-Gentil, a reculé de plus de 200 mètres en cinquante ans, avec une nette accélération ces dernières années. De mon bureau [à la présidence, NDLR], vous pouvez voir que la route du bord de mer est déjà sous la pression de l’avancée des eaux. Réparer ou déménager va coûter très cher.
Le président ne veut donc pas se faire surprendre et, face à ce constat, demande à notre pays de mettre en place une stratégie. C’est ce qui l’a poussé à créer le Conseil climat, qu’il préside, et auquel il a fixé des objectifs, dont celui d’intégrer l’empreinte carbone dans tout projet réalisé sur notre territoire.
Peut-on se préoccuper de la pollution quand on ne mange pas à sa faim ?
Il y a un cercle vicieux entre la dégradation de l’environnement et la pauvreté. Est-ce parce que l’environnement s’est dégradé que les gens sont devenus pauvres ou est-ce parce que les gens sont pauvres que l’environnement s’est dégradé ? Faut-il commencer par lutter contre la pauvreté pour stopper la dégradation de l’environnement, ou le contraire ? Personne d’autre que nous, les Africains, n’apportera de solution à ce problème. Au regard de tout cela, la crainte est aussi que ce développement, que nous voulons très rapide, ne nous conduise à utiliser nos ressources de manière irrationnelle.
Gabon vert ne visait donc pas que les fonds de l’hypothétique marché du carbone ?
Aucune loi de finances de notre pays n’a été élaborée avec des prévisions de recettes portant sur ce marché. Nous ne sommes pas allés jusqu’à ce point.
Parce que les pays développés n’ont pas tenu leurs promesses ?
Non, et, très sincèrement, ce problème me désole. Les Africains se sont fait avoir. Je crois que ces promesses non tenues découlent d’une stratégie des pays développés à l’égard des nôtres. Ils voulaient simplement nous pousser à freiner la déforestation en nous faisant miroiter l’argent que l’on pourrait engranger en protégeant nos forêts et n’ont jamais voulu compenser le manque à gagner dû à l’arrêt de l’exploitation forestière.
Voulez-vous dire que, dès le départ, il s’agissait d’un marché de dupes ?
La solution est-elle de dire : « Ne touchez pas à vos forêts et vous aurez de l’argent en échange », ou de dire : « La préservation des forêts est nécessaire, alors comment apporte-t-on des alternatives aux activités qui menacent de les faire disparaître ? » Voilà la vraie question.
C’est la même problématique qui se pose s’agissant de l’immigration : quand quelqu’un n’a plus rien à manger dans son pays, il le quitte et s’en va chercher fortune ailleurs. Aucun obstacle d’aucune sorte n’a jamais pu arrêter l’immigration.
Alors, quel mur va-t-on construire autour des forêts pour empêcher que les gens viennent les exploiter, s’ils n’ont pas de quoi se nourrir en dehors de la forêt ?
Pour vous, le problème était donc mal posé…
L’idée de ne pas toucher à la forêt est une utopie. Comment a-t-on osé réduire les mystères, la vie qu’il y a dans la forêt, à une vulgaire question de carbone ? Cette hérésie a fait perdre la tête à plus d’une personne.
Ces dysfonctionnements ont donc poussé le Gabon à réajuster sa politique ?
En effet. Dans le Plan climat national, il s’agira d’identifier les causes de la déforestation, de déterminer son ampleur et d’apporter des solutions alternatives. La meilleure façon de préserver la forêt n’est pas d’ériger des murs ni de donner de l’argent, mais d’améliorer l’efficacité des activités, notamment agricoles, pour qu’elles soient moins dévoreuses de terres et, donc, moins destructrices pour la forêt. Si avant on avait besoin de 10 ha de terre pour produire 100 kg d’ignames, il faut pouvoir produire à l’avenir la même quantité sur 1 ha et en économiser 9.
La protection de l’environnement est-elle une nouveauté en Afrique ?
Nos ancêtres savaient concilier leurs activités avec la préservation de la nature. C’était une question de survie. Quand ils sanctuarisaient des cours d’eau et des forêts, c’était tout simplement pour protéger la vie qui s’y écoulait. Les forêts devenaient sacrées parce qu’en dépeçant le gibier qu’ils y avaient chassé, ils constataient qu’il s’agissait de femelles gestantes, tuées sur une zone de reproduction, et que le gibier était moins abondant l’année d’après. Donc on y mettait des fétiches pour rendre ces zones inviolables. Idem pour les cours d’eau. Je crois d’ailleurs qu’un pays africain a eu recours à ces lois traditionnelles pour protéger une mangrove et pallier l’inefficacité des lois modernes.
Pourquoi, selon vous, la protection de l’environnement est-elle souvent considérée comme un luxe pour les pays pauvres ?
Nous avons ratifié le protocole de Kyoto et sommes conscients que notre pays possède un patrimoine important, qui nous oblige à avoir des devoirs à l’égard de la planète. Si aujourd’hui nos forêts permettent de contribuer à la diminution des gaz à effet de serre, nous allons les préserver.
Mais avant de penser aux générations futures, il faut penser aux générations actuelles. Sans présent, nous n’avons pas de futur. Comment peut-on demander à des gens qui vivent dans la pauvreté de penser aux générations futures ?
Par ailleurs, aujourd’hui, tout le monde croit que le développement économique, souvent porteur d’activités polluantes, n’est pas compatible avec la préservation de l’environnement. Ce n’est pas juste. L’un a besoin de l’autre. Les deux sont indispensables. Et ce n’est que parce que les générations actuelles auront satisfait à leurs besoins de façon raisonnable que l’on va pouvoir envisager sereinement la vie des générations futures. Au bout du compte, nous devons nécessairement intégrer la dimension environnementale dans les projets de développement.
Cette vision est-elle partagée par les autres pays africains ?
Notre continent paie le tribut le plus lourd dans ces changements climatiques. Non pas que les phénomènes extrêmes aient lieu en Afrique, mais parce que notre continent n’a pas les moyens de faire face aux catastrophes liées à ces bouleversements. Nous devons donc nous accorder sur la manière de négocier avec nos partenaires, dont la responsabilité historique est reconnue dans les émissions des gaz à effet de serre.
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