mercredi 19 décembre 2012

Ali Bongo Ondimba : "Développer un Gabon durable qui profite à tous"

Le Président reçu à la Maison Blanche en septembre 2012


Dans un long entretien accordé au magazine "Marchés Publics", le Président Ali Bongo Ondimba fait le point sur l'actualité gabonaise. A mi-mandat, le chef de l'Etat évoque les grands événements de l'année écoulée, mais également les ambitieux projets en cours. Plus que jamais, le mot "émergence" est au coeur de l'ambition présidentielle. 

 

Marchés Africains: L’année 2012 tire à sa fin et restera marquée par l’organisation par le Gabon, pour la première fois de son histoire, de la Coupe d’Afrique des Nations (CAN). Avec le recul, quel est impact de cet événement pour votre pays en termes d’image, d’infrastructures, d’économie, ainsi que sur le plan sportif ?

 

Ali Bongo Ondimba : «Comme vous le soulignez, cette CAN était attendue depuis longtemps par tous les Gabonais et a engendré une véritable communion nationale et continentale. Pour les nombreux observateurs étrangers et les journalistes sportifs internationaux qui l’ont couverte, cette grande fête du sport fut sans doute la mieux réussie de toute l’histoire de la compétition. Les Gabonais peuvent donc être fiers de l’organisation qu’ils ont mise en place, de l’accueil qu’ils ont offert à l’Afrique et au reste du monde. Notre équipe nationale, les Panthères, a elle aussi porté haut les couleurs du football gabonais.
Je garde, comme tous mes compatriotes, des souvenirs impérissables de cet événement qui nous a prouvé à tous qu’unis, rien n’est impossible. Je dois dire également que la CAN a été un formidable catalyseur de nos projets de développement. Les grands chantiers d’infrastructures entrepris en amont de la compétition ont permis à notre pays d’accélérer la mise en oeuvre de son programme de développement du « Gabon émergent ».
Aménagements touristiques et sportifs, rénovations d’hôpitaux, infrastructures de transport, amélioration des télécommunications: tous ces chantiers ont été accélérés avec la construction de stades, d’hôtels, de tronçons de routes, l’ouverture de services dans les hôpitaux ainsi que la modernisation des aéroports de Libreville et Franceville. Au total, ce sont plus de 300 milliards de FCFA qui ont été investis dans les infrastructures qui dureront bien au-delà de la CAN et qui contribuent sans nul doute à notre développement économique.
Dans la droite ligne de notre stratégie de développement, la CAN a également joué le rôle d’accélérateur et diversification de notre économie. Les secteurs des travaux publics, du tourisme et des services ont pris un nouvel élan avec, je tiens à le souligner, un accent particulier mis sur la valorisation de nos ressources humaines: on estime que 50 000 emplois directs et indirects ont été créés. La CAN a également boosté notre croissance avec un taux de 6,7% pour 2011, mais surtout une croissance de 12% dans le secteur hors pétrole je suis d’ailleurs persuadé que nous pouvons encore mieux faire. Maintenant, sur le terrain sportif, nous allons attendre les résultats des Panthères dans les phases qualificatif 2013, mais je crois que la précédente CAN a surtout fait rêver nos jeunes et suscité de nombreuses vocations. La relève se prépare. »
Au lendemain des législatives, d’ailleurs largement remportées par votre formation politique, un nouveau gouvernement a été formé avec un nouveau Premier ministre et 14 entrants pour 16 sortants.

Qu’est-ce qui a motivé ce changement de chef de gouvernement malgré la victoire aux législatives et une bonne organisation de la CAN ?

 

ABO : « J’ai voulu aligner l’organisation gouvernementale à mon programme de développement pour le Gabon. Le nouveau gouvernement est un gouvernement de missions, structuré autour d’un projet clair avec des missions claires. Les ministères pilotent les programmes et des agences ont été créées pour se charger du caractère opérationnel des projets. Ainsi, nous avons une gestion cohérente de nos actions. Car c’est seulement en assurant une bonne organisation de notre administration que nous pouvons atteindre les objectifs du Gabon émergent. Lors des dernières élections législatives, les Gabonais ont largement plébiscité la politique que j’impulse et mets en oeuvre.
La vision que j’ai présentée aux Gabonais il y a trois ans est une vision ambitieuse. J’ai fait en sorte qu’un programme clair soit établi. Dans chaque secteur, des actions ont été identifiées, avec des budgets et des calendriers: c’est cela, le Plan Stratégique du Gabon émergent (PSGE). Le Premier Ministre Biyoghe Mba, que je félicite au passage pour son travail à la tête du gouvernement, s’est inscrit dans cette démarche. Pour concrétiser la vision du Gabon émergent, trois axes stratégiques ont été retenus : le renforcement des fondations de l’émergence, la diversification des piliers de croissance et enfin la prospérité partagée. La pyramide du Gabon émergent requiert en effet des fondations solides pour pouvoir prospérer dans la durée. Le choix des éléments constituant ces fondations a été fait de manière holistique, de façon à prendre en compte les facteurs de compétitivité globale et de promotion d’un développement équilibré et durable.
Une fois les fondations bien bâties, la seconde phase consiste à ériger les piliers de l’émergence, c’est- à dire les moteurs d’une croissance forte et durable sur lesquels le Gabon devra se focaliser pour accélérer sa croissance et son développement. Enfin l’étape ultime sera la mise en place du haut de la pyramide que constitue la prospérité partagée :le bien-être des populations gabonaises demeure en effet le but ultime de l’émergence et passe par un partage équitable des fruits de la croissance. »

Comment pourrait-on résumer la méthode et le style ABO dans la gestion des hommes et la bonne gouvernance ?

 

ABO : « Tous simplement trois mots : paix, développement et partage. »


Le retour voulu « populaire » du leader de l’opposition Mba Obame s’est soldé par de violent incidents pour une manifestation interdite faute de demande d’autorisation. Comment le gouvernement compte-t-il gérer le cas Obame, dont les activités pourraient osciller entre incivilité publique et actions politiques ?

 

ABO : « Il n’y a pas de « cas Mba Obame ». André Mba Obame que j’ai bien connu, comme vous le savez, est rentré au Gabon comme n’importe quel homme politique gabonais de retour dans son pays après une absence due à des problèmes de santé. Ce que je constate cependant, c’est que deux jours après son arrivée, suite à son appel à manifester, des jeunes armés de cocktails Molotov et de pierres ont incendié des véhicules et saccagé une station d’essence au cours d’une manifestation interdite. Je pense qu’il est aisé de comprendre le lien de cause à effet.
Je m’étonne également de ce que M. Mba Obame puisse demander au chef de l’Etat la mise en place d’une conférence nationale et dite souveraine, alors que son parti prône la non-reconnaissance des institutions, à commencer par celle du président de la République. Ce sont des méthodes d’un autre âge, complètement éculées. Il ne m’appartient pas de juger tel ou tel politicien, ce travail revient à la justice, mais M. Mba Obame et ses soutiens, comme tout gabonais, doivent respecter la loi, qui vaut pour tous. Le Gabon est un Etat de droit et nous disposons d’un système judiciaire certes imparfait, mais qui est la base de notre « vivre en commun ».
Aussi, je tiens à rassurer mes concitoyens sur le fait que le gouvernement et moi-même restons concentrés sur nos priorités. Ce n’est pas la politique pour la politique que les Gabonais attendent de nous, mais un travail pour améliorer leurs conditions de vie. »

Comment avez- vous analysé la perte par les francophones, au profit de l’Afrique du Sud du poste du président de la commission de l’Union africaine occupé précédemment par le Gabonais Jean Ping ? Va- t- il occuper un poste stratégique au Gabon ou sur la scène internationale ?

 

ABO : « Cela ne m’intéresse pas de m’enfermer dans une querelle entre francophone et anglophone. Cela ne correspond pas à ma manière de voir le monde et cela ne correspond plus à la réalité de notre continent. Ce qui importe, c’est que l’Union Africaine (UA) continue à ce solidifier et à se doter d’outils nécessaires pour apporter la paix et le développement à notre continent. Nous sommes tous unis derrière cette cause.
Le Gabon travaillera avec Madame Dlamini Zuma, que j’ai, bien entendu, félicitée, afin de renforcer notre institution, tout comme l’Afrique du Sud aurait travaillé en bonne intelligence avec notre compatriote s’il avait gagné. Je salue au passage l’efficacité de M. Ping dans les travaux qu’il a menés : son travail est très estimé ici, au Gabon, comme ailleurs en Afrique. Quant à savoir ce que M. Ping va faire par la suite, je ne peux pas répondre à sa place. »

Quelles pourraient être les conséquences pour la zone CFA de la crise que connaissent les pays de l’Union européenne concernant les dettes souveraines et qui voient l’euro se déprécier ? Car, rappelons-le, l’euro a la particularité d’assurer une convertibilité fixe au FCFA via le Trésor français...

 

ABO : « Les fondamentaux des économies de la Zone franc incitent à l’optimisme. Il n’y a pas de crainte quant à une éventuelle ou probable dévaluation de franc CFA. Par ailleurs, en raison des principes de gestion des réserves de change dans cette zone, aucun impact significatif sur les transactions n’est attendu. Néanmoins, il faut reconnaître que l’investissement direct étranger a diminué, tout en restant positif, en raison du potentiel de ces économies. Soulignons l’importance du recours à l’aide publique au développement, relativement inégale entre les pays.
Tout assèchement des sources publiques de financement européen aurait des incidences plus ou moins importantes sur le budget des Etats, et plus particulièrement sur ceux des pays de l’UEMOA, qui sont le plus concernés par ces aides. Malgré l’atonie de l’économie européenne, bon nombre d’observateurs estiment que les économies africaines font preuve d’une surprenante résilience. Cette résistance est due à plusieurs raisons : le niveau favorable des cours des produits de base, la réorientation des exportations vers les marchés émergents et la faible intégration financière des économies africaines.
Par ailleurs, les pays de la Zone franc ont su anticiper depuis plusieurs années les changements nécessaires à leurs économies en diversifiant leur appareil productif et leurs partenaires ou en améliorant leurs conditions intérieures : soldes budgétaires renforcés, recul de l’inflation, progression du taux de couverture des importations par les réserves, réduction des ratios de la dette…
Toutefois, il est vrai que les récentes turbulences sur les marchés financiers laissent entrevoir une passe plus difficile pour l’économie mondiale. Dans le cas où la croissance continuerait de ralentir dans les pays avancés, la demande mondiale serait bien évidemment freinée et la contagion affecterait beaucoup plus les pays émergents.
En cas de retournement durable des cours des produits de base, l’Afrique pourrait bien être affectée, sachant que la plupart des pays africains sont dépendants de ces produits. N’ayant pas mené de politique contracyclique, les pays de la Zone ne seraient alors plus en mesure de pallier le ralentissement des activités avec leurs partenaires européens : la hausse de la dépense publique resterait ainsi le seul levier pour maintenir leur croissance. »

 

Le Gabon compte entre 120 et 150 entreprises françaises pour des investissements d’environ 800 millions d’euros. La France est le principal fournisseur du Gabon, avec une part de marché d’environ 35%, et un bailleur de fonds important avec 50 millions d’euros par an, essentiellement sous forme de conversion et d’annulations de dettes et de prêts. Malgré ce poids économique, vous ne cachez pas votre volonté, qui passe d’ailleurs pour une révolution, de diversifier les partenaires économiques du Gabon. Comment comptez-vous concrétiser cette nouvelle orientation ?

 

ABO : « La stratégie est déjà entamée et porte ses fruits : plus de 4 milliards de dollars de contrats ont été signés avec de nouveaux partenaires dans des secteurs clés depuis 2010. La France reste traditionnellement un partenaire stratégique pour le Gabon, mais il n’y a plus de relation exclusive entre nous.
Le Gabon ouvre ses portes à de nouveaux investisseurs. Ce n’est pas, comme vous le dites, une révolution, mais plutôt une évolution. Notre politique de développement privilégie des partenariats « gagnant-gagnant ».
J’ai effectué plusieurs visites d’Etat, visites officielles et visites de travail depuis 2009 en Afrique du Sud, en Australie, en Corée du Sud, aux Etats-Unis, en Italie, au Japon, au Maroc, au Royaume-Uni, en Suisse et à Singapour, en Turquie… Ces visites ont été concluantes et je continuerai sur cette voie. Le Gabon est ouvert au monde, le Gabon est ouvert aux affaires, le Gabon est ouvert à l’innovation. »

Les résultats de votre première visite de travail à Paris avec François Hollande, nouveau Président français, ont-ils été concluants, tant au niveau économique que politique ? Le style et la personnalité de ce nouveau président, qui se veulent différents de ceux de Nicolas Sarkozy, vont-elles influencer les rapports entre le Gabon et la France ?

 

ABO : « Le président français et moi-même représentons deux pays qui sont des partenaires de longue date et dont l’amitié est historiquement établie depuis des générations. Bien que nos relations personnelles soient nouvelles, nous comptons l’un comme l’autre maintenir cette relation amicale entre la France, qui est notre premier partenaire économique, et le Gabon. Les relations que nous entretenons sont fortes tant sur le plan économique que culturel, diplomatique, militaire. J’ajouterai même qu’elles sont meilleures que certains voudraient le faire croire.
Lors de notre rencontre à Paris en juillet, le président Hollande a été très sensible à nos efforts pour lutter contre les impacts des changements climatiques comme la mise en place d’un plan climat national, la création d’une agence d’observation spatiale pour, notamment, assurer un meilleur suivi de nos 22 millions d’hectares de forêts, qui jouent un rôle majeur dans la conservation du Bassin du Congo, deuxième poumon vert de la planète, et surtout, prochainement, l’adoption d’une loi d’orientation générale sur le développement durable.
François Hollande a ainsi émis le voeu que la France, qui nous accompagne déjà beaucoup sur cette thématique, s’engage davantage à nos côtés. Et puis, vous le savez, le Gabon tout comme la France sont des pays écoutés en Afrique. Le Gabon a une tradition de médiation et d’activité en faveur de la paix sur le continent. Il est donc indispensable que nos deux pays échangent face aux défis que rencontre actuellement notre continent. »

Tout juste élu, vous vous êtes qualifié vous-même de Président de la rupture. Bientôt à mi-parcours de votre mandat, quel bilan faites-vous des 3 dernières années passées au pouvoir ? Quels sont vos objectifs pour les 3 prochaines années ? Et comment voyez-vous le Gabon en 2016 ?

 

ABO : « Je me suis récemment exprimé devant les députés et les sénateurs gabonais pour leur rappeler l’objectif vers lequel nous tendons depuis trois ans. Le Gabon est entré dans une ère de rupture, c’est vrai. Rupture avec les anciennes pratiques, rupture avec l’attentisme, rupture avec les débats politiques stérile et sans impact pour la population. J’ai été élu sur un programme, un programme qui vise à faire du Gabon un pays émergent d’ici 2025.
Cet objectif peut paraître abstrait aux yeux de certains, alors permettez-moi de le rendre plus concret, plus palpable : des routes, des aéroports modernes, une industrie florissante, des services toujours plus performants, un cadre de vie amélioré, des emplois pour tous les Gabonais, tel est mon objectif. C’est une vision ambitieuse, qui demande l’implication de tous et le développement d’un sens de l’intérêt général qui doit être sans cesse encouragé. Nous menons au Gabon des réformes administratives dans tous les secteurs. Nous investissons massivement, nous mettons en place des partenariats nouveaux, et tout cela dans un but : développer un Gabon durable, qui profite à tous.
Les projets ont démarré, ils sont en bonne voie, les choses avancent, pas assez vite à mon goût, mais elles avancent. Je veux un Gabon où le travail de chacun est reconnu, où l’égalité des chances n’est pas un mythe et où chaque Gabonais mène une vie convenable grâce à la force de son travail. Alors effectivement, dans un contexte où les connexions familiales ont fait loi pendant des décennies, ma vision est une immense rupture, mais je sais qu’ensemble, nous pouvons y arriver.
Avec les chantiers en cours et l’énergie que nous déployons pour assurer le suivi de ces projets, je peux dire qu’en 2016, le Gabon aura largement amélioré ses infrastructures de transports et sera désenclavé. Les nouvelles technologies auront trouvé leur place et seront accessibles à tous, efficaces et rentables, permettant ainsi le développement d’entreprises de services. Le pays saura répondre en interne à ses besoins en énergie et les grandes villes seront en partie réaménagées. Les étudiants bénéficieront d’un système éducatif plus efficace et plus en adéquation avec le marché de l’emploi.
Enfin, la diversification de l’économie aura permis la création de nombreuses PME/PMI locales et, par conséquent, la création de nombreux emplois. Le niveau de vie de tous les Gabonais sera ainsi globalement amélioré ».

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