On croyait le débat clos. Mais c'est mal connaître les responsables de l'ex-UN qui, malgré les positions des plus hautes autorités du pays, plutôt contre l'idée, persistent dans leur appel à la tenue d'une nouvelle conférence nationale dans notre pays. D'où notre initiative de solliciter, l'un des principaux artisans de la conférence nationale de 1990, Léonard Andjembe, par ailleurs 1er Vice-président du Sénat. Dans les lignes qui suivent, et sur la base de nos interrogations, cet homme d'expérience fait, arguments objectifs à l'appui, le tour de la question. Lecture.
L'Union : Monsieur le 1er Vice-président du Sénat, par ailleurs coordonnateur des conseillers du président du PDG, vous avez été l’un des acteurs de la conférence nationale de 1990 qui fut un moment important de la vie politique de notre pays. A ce jour, une partie de l’opposition, notamment les responsables de l'ex-UN, réclame la tenue d’une nouvelle conférence nationale. Au regard de votre expérience quelle appréciation faites-vous de cette initiative ?
Léonard ANDJEMBE : Je pense en effet qu’il y a matière à débat avec nos compatriotes afin que les Gabonais ne soient pas abusés outre mesure. Un tel débat je l’avoue m’interpelle personnellement en tant que citoyen mais aussi en tant que militant du Parti démocratique gabonais (PDG). Cela dit, il faut d’abord nous entendre sur le concept même de “conférence nationale“. A mon sens, la conférence nationale comme forum est la sanction d’un moment historique d’une importance particulière dans la vie d’une Nation. Elle ne saurait donc se justifier que lorsqu’à une période donnée de son histoire, un pays fait face à un enjeu majeur, à une crise que je qualifierai de structurelle et dont on estime que la résolution détermine des choix décisifs et commande des mutations essentielles dans l’organisation sociale et politique.
Par rapport à votre définition, quel statut donnez-vous à la conférence nationale de 1990 dans notre pays ?
L’année 1990 a précisément constitué pour le Gabon un tournant historique. Notre pays s’était enlisé vingt-cinq ans durant dans un monopartisme devenu obsolète. En dépit ou à cause des acquis importants qui ont permis au Gabon de sortir de l’archaïsme colonial, les Gabonais avaient soif de liberté et le faisaient savoir plus ou moins ouvertement. Par ailleurs, le contexte international avait radicalement changé avec l’écroulement du mur de Berlin, l’émancipation des peuples de l’Europe de l’Est et la disparition de l’Empire soviétique. Le parti unique était devenu, il faut le reconnaître, un boulet de canon que la Nation ne pouvait traîner plus avant sans s’enliser dans une longue fracture interne et voir se détériorer gravement son image aux yeux de la Communauté internationale. Ce contexte très particulier a parfaitement justifié la tenue d’une conférence nationale dans notre pays. Quel bilan faire du passé ? Sous quelle forme instaurer le pluralisme politique ? Selon quel rythme ? Quelles institutions mettre en place ? Ces grandes questions nécessitaient en effet des réponses communes, des solutions consensuelles.
Alors, qu’est-ce qui, selon vous, pourrait justifier la tenue d’une conférence nationale aujourd'hui ?
C’est plutôt aux promoteurs de l’idée que la question mériterait d’être posée. Mais rassurez-vous, j’ai pris le soin de lire, dans un journal local, le discours que délivre M. André Mba Obame et ses amis à leurs partisans sur cette question. Je dois avouer que je suis resté sur ma faim. Dans ce réquisitoire où se mêlent l’autoglorification et l’imprécation gratuite, il n’y a rien de sérieux qui puisse être considéré comme une justification de son appel à la tenue d’une conférence nationale. Ou alors on ne sait pas de quoi on parle.
J’ai eu le privilège, voyez-vous, de prendre part à la conférence nationale de 1990, puis aux Accords de Paris en 1994 qui n’en furent que le prolongement. J’ai assisté à la plupart des réunions de concertation entre la majorité et l’opposition ici à Libreville. Je puis vous assurer d’une chose : aucune de ces réunions n’a pu se tenir sans que l’ensemble des forces politiques de notre pays ne se soit au préalable accordé sur au moins trois choses : l’opportunité de la rencontre, le cadre général des discutions et les grands objectifs poursuivis.
A titre d’exemple, la conférence nationale fut, dans ses prémisses tout au moins, le fruit de longues et laborieuses négociations entre les deux principales forces politiques du moment, à savoir le Parti démocratique gabonais, sous la conduite directe d’Omar Bongo Ondimba et le Morena de Paris alors dirigé par le Père Paul MBA Abessole. Les Accords de Paris, quant à eux, ne purent avoir lieu que suite aux pré-négociations qui se sont tenues, des mois durant à Libreville. Ce sont là les enseignements fondamentaux de notre histoire récente. Qu’une portion de la classe politique se lève, proclame l’existence d’une crise et annonce à cor et à cri la tenue d’une conférence nationale, cela relève davantage du folklore politique. Il n’y a pas de conférence nationale envisageable sans enjeu national reconnu comme tel par tous. Tout comme il n’y a pas de conférence nationale envisageable en dehors d’une volonté communément exprimée par l’ensemble des forces politiques et sociales représentatives de la nation.
Mais vous savez que d’une certaine manière André Mba Obame et ses amis de l'ex-UN justifient l’appel à la tenue d’une conférence nationale par ce qu'ils qualifient de “coup d’Etat électoral“ qui aurait privé Mba Obame de victoire, en 2009.
C’est précisément ce qui est mis en avant, à en croire une certaine presse. Mais vous savez, ce mythe du “coup d’Etat électoral“ qui aurait privé le candidat André Mba Obame de victoire à l’élection présidentielle de 2009 ne fait plus recette. On ne va pas continuer de la sorte à divertir les Gabonais. Mon opinion sur cette question est connue. Et puisqu’on nous pose les mêmes problèmes, nous apportons les mêmes réponses. Et c’est aux Gabonais de juger. La vérité c’est que rien, dans le contexte précis de la présidentielle d’août 2009, ne prédisposait André Mba Obame, candidat indépendant, sans base militante ni présence réelle sur le terrain, à devancer mathématiquement Ali Bongo Ondimba et feu Pierre Mamboundou soutenus, eux, par deux appareils éprouvés. La seule attestation de cette victoire serait venue d’un documentaire sulfureux fabriqué en France. C’est trop léger. Pour nous, cette revendication relève de la malice politique, si ce n’est de l’imposture pure et simple.
D’aucuns estiment que les changements politiques intervenus en France sont pour quelque chose dans cette agitation de l’opposition. Etes-vous de cet avis ?
Cela n’a rien de nouveau. A chaque fois que les socialistes arrivent au pouvoir en France, une partie de l’opposition gabonaise s’agite et croit son heure venue. Ainsi, le parti socialiste ferait partie des contacts étrangers dont se vante André Mba Obame. La France, prétend-il, fait partie du problème gabonais. L’opposition gabonaise se livre ainsi à une cour assidue aux nouvelles autorités françaises. Mais impliquer aussi grossièrement un gouvernement étranger dans nos affaires domestiques, me paraît relever du pur amateurisme politique. Car entre nous, je ne suis pas sûr que cela plaise forcement du côté de l’Hexagone. Ce d’autant plus que je doute fort qu’il y ait quelque valeur commune entre le Parti socialiste, un parti de gauche, et la frange conservatrice de l’opposition gabonaise que représente André Mba Obame et les siens.
Monsieur le Vice-président, c'est à vous de conclure cet entretien...
Pendant plus de vingt ans, nous n’avons fait que la politique, avec souvent les mêmes acteurs aux affaires dont les actuels pourfendeurs du pouvoir. Nous avons pour ainsi dire oublié le développement. Avec Ali Bongo Ondimba, les Gabonais découvrent que l’on peut faire la politique tout en construisant le pays au quotidien. Bien sûr, rien n’est parfait en raison du passif accumulé. Mais Ali Bongo Ondimba s’est fixé un objectif stratégique : l’émergence. Et il se donne visiblement les moyens d’y parvenir. Les grandes infrastructures structurantes sont en cours de réalisation : routes, ponts, barrages, zones économiques et ce à un rythme jamais connu dans ce pays, il faut l’avouer. Le Gabon a renoué avec des taux de croissance positifs. Nos institutions politiques qui ont démontré leur solidité pendant la délicate période de transition consécutive à la disparition de l’ancien président de la République, fonctionnent correctement. Parler, dans ce contexte, de conférence nationale n’est, à mes yeux, que pure diversion.
Propos recueillis par :
O'. N.
Libreville/Gabon
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